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Rainbow Bridge

(1971)

 

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Face 1

1.
Dolly Dagger
2.
Earth Blues
3. Pali Gap
4.
Room Full Of Mirrors
5. Star Spangled Banner

Face 2

1.
Look Over Yonder
2.
Hear My Train A Comin'
3.
Hey Baby (New Rising Sun)

 

Personnel :

Jimi Hendrix – guitare électrique, chant

Billy Cox – basse

Mitch Mitchell – batterie

 

Musiciens additionnels :

Juma Sultan

Arthur Allen

Albert Allen

Buddy Miles

The Ronettes

Noel Redding

La mention "Original Motion Picture Sound Track" (en VF : bande originale du film) accolée au titre de l'album, "Rainbow Bridge", n'est pas à prendre au pied de la lettre. C'est en effet uniquement pour des raisons contractuelles que le second album studio post mortem de Jimi Hendrix porte cette mention. La musique présentée ici n'a d'ailleurs rien d'une musique de film. Afin d'obtenir une rallonge de la Warner (pour financer les studios Electric Lady), Mike Jeffery avait eu l'idée de proposer une bande originale de film à la maison de disque : le contrat initial ne mentionnant pas ce cas, c'était un moyen astucieux d'arriver à ses fins... tout en obligeant Jimi à s'impliquer dans "Rainbow Bridge", le film, concurrent sérieux au titre de "plus grand navet de tous les temps".
Tous les titres de "Rainbow Bridge", l'album, ne se figurent donc pas dans le film et, inversement, la musique que l'on entend au cours du film ne retrouve pas forcément sur le disque. Il n'y a ainsi dans la bande originale du film aucune trace des deux concerts donnés par le trio Hendrix/Cox/Mitchell à Maui le 30 juillet 1970, dont sont extraits les seuls moments dignes d'intérêt du film.
Il ne faut pas non plus confondre l'album "Rainbow Bridge" sorti fin 1971 avec "The Rainbow Bridge Concert", le double album officieux publié en 2002 par Purple Haze Records, qui retrace les deux concerts en question.


Désormais retiré du catalogue, et jamais réédité en CD, "Rainbow Bridge" est pourtant un album historique, que la plupart des amateurs qui ont découvert Hendrix du temps où il fallait encore se lever pour changer de face appréciaient autant que les albums publiés du vivant du guitariste. Ce ne sera pas le cas des albums studio présentant du matériel inédit publiés par la suite.
"Rainbow Bridge" est un album magnifique... et pourtant presque miraculeux. L'album est en effet aussi fort que "The Cry Of Love" alors que le matériel présenté est globalement loin d'être aussi avancé que celui de son aîné. Sur les 8 titres de "Rainbow Bridge", il n'y a que trois titres qui auraient pu raisonnablement figurer sur le quatrième album studio de Jimi. "Dolly Dagger" et "Room Full Of Mirrors", retenus dans un premier temps pour figurer sur "The Cry Of Love", et "Earth Blues", le morceau qui cristallisait tout ce que Mike Jeffery détestait dans l'évolution musicale de Jimi.
Le reste est composé de démos plus ou moins avancées (une version très brute de "Hey Baby (New Rising Sun)", jouée Live en studio et un exercice de style : "Star Spangled Banner"), d'une jam améliorée ("Pali Gap"), d'un titre Live ("Get My Heart Back Together", baptisé ici "Hear My Train A Comin'") et d'un titre du dernier album studio avorté de l'Experience ("Look Over Yonder").
Pourtant, la magie opère, grâce au subtil équilibre trouvé par les producteurs de l'album (outre Jimi) : Eddie Kramer, John Jansen et Mitch Mitchell. Selon Eddie Kramer, le travail de production post mortem fut toutefois considérable sur certains titres. Il est parfois difficile à évaluer : aucun pirate ne retrace la fameuse session du premier juillet 1970 à l'Electric Lady Studio.


C'est lors de cette séance que le basic track de "Dolly Dagger" a été enregistré, mais le titre fera l'objet de nombreuses séances d'overdubs lors des semaines suivantes. Le trio Hendrix/Cox/Mitchell est renforcé par Juma Sultan aux congas et les Ghetto Fighters (qui s'appelaient encore Arthur et Albert Allen) aux chœurs.
"Dolly Dagger" fait partie des quelques titres que Jimi a terminé de son vivant : il avait prévu de le sortir comme single, avec "Night Bird Flying" en face B. Jimi a même procédé avec Eddie Kramer à son mastering le 26 août 1970. Il en existe deux versions Live, soundboard toutes les deux. La femme décrite par les paroles n'est nulle autre que Devon Wilson, la muse noire de Jimi.
Musicalement, "Dolly Dagger" est un rock funky, radicalement différent de ce que proposait le Jimi Hendrix Experience. La basse y joue un rôle nettement plus important. L'exposé du riff d'introduction qui revient tout le long du morceau est édifiante à cet égard : on y entend Billy Cox doubler le thème que Jimi joue à la guitare (exceptionnellement avec une basse dont le son est saturé via une fuzz box). L'héritage du Band Of Gypsys, où guitare et basse sont régulièrement à l'unisson, est ici manifeste. Contrairement à Noel Redding, il joue régulièrement des transitions aux moments clés du titre, jouant un rôle similaire aux breaks de batterie.
Au-delà du style, notons enfin que "Dolly Dagger" montre aussi le regain de créativité de Jimi en terme de songwriting.

"Earth Blues" est dans une veine similaire, plus black encore. Le basic track a été enregistré le 19 décembre 1969 au Record Plant : c'est donc à l'origine un titre du Band Of Gypsys, même s'il ne subsiste ici de la prestation de Buddy Miles que les chœurs qu'il a enregistré ("Everybody !"). Selon le site officiel, c'est le 26 juin 1970 que Mitch Mitchell l'aurait remplacé à la batterie : le jeu de toms de l'introduction est toutefois directement inspiré du style de Buddy Miles.
Outre Juma Sultan aux percussions, on entend les Ronettes, invitées de marque aux chœurs. Là encore, le rôle de Billy Cox est à souligner car c'est la basse, véritable moteur, qui donne la pulsion rythmique du titre. Notons enfin la qualité de la performance vocale de Jimi, qui dans un style vocal pas si éloigné que ça de celui de Buddy Miles s'en sort remarquablement.

"Pali Gap", immortalisé le premier juillet 1970 fut le grand oublié de "First Ray Of The New Rising Sun" : beaucoup considèrent cet instrumental comme le plus beau de la musique rock.
Alors que "Dolly Dagger" s'achevait, Billy Cox a lancé la ligne de basse de "Gimme Some Loving". Au bout de trois minutes, Hendrix a, selon les dires de John Jansen, créé ce que Mike Jeffery baptisera plus tard "Pali Gap".
Les trois accords de "Pali Gap" (dont la structure, très simple, est basée sur un cycle de deux mesures, avec un contretemps sur le Sol : I Em (7) G I Bm (7) I) permettent un jeu modal. Les accords servent donc autant de couleurs que de véritable parcours obligé. It's all freedom...
Hendrix rajouta par la suite une guitare solo, avec le Marshall à fond...
Mais rentrons plus en avant dans le détail :
L'intro est assez longue, un peu bruitiste, laissant le groove s'installer.
(00:26) Hendrix pose sa voix et serpente avec lui-même (la magie du studio) à 0:36.
Le choix harmonique de Jimi montre son évolution considérable depuis 1966 : il choisit la pentatonique de Si mineur (choix net dès 0:47), alors qu'on s'attendrait, en toute logique rock, à celle de Mi mineur.
Mais l'évolution de Hendrix est là, et à 1:16, il attaque la 9ème alors que Mitchell souligne ses écarts avec sa grosse caisse.
A 1:35, 1:40 et 1:44, Jimi nous gratifie de magnifiques plans en accords, particulièrement difficiles à maîtriser avec cette saturation... comme quoi, les apparences sont souvent trompeuses en terme de difficulté technique.
Jimi nous fait ensuite un résumé de l'Histoire de la guitare.
(2:11) Son plan en octaves nous renvoie à Wes Montgomery. Mais il l'écrase dans un jeu out à la Sonny Sharrock (2:19) !
Sa propre modernité est résumée dans son jeu à l'unisson via les tirés dans un magnifique passage (2:23).
Suit un plan mortel sur une corde, très rapide, à la Django (2:37 jusqu'à 2:46).
D'inspiration plus blues, la suite n'en demeure pas moins hautement énergique, et (j'ose) PARFAITE.
(3:27) L'autre guitare prend le relais pour un interlude plus calme, avant un retour (4:03) qui clôture les débats de la plus belle des manières.
Jimi conclut cette instrumental INFINI par des accords suspendus par de subtils coups de vibrato... (4:40)
Il signe ainsi le titre dont Santana rêvera toute sa carrière... et encore une fois, nous fait regretter son départ... alors qu'il avait tant de chemin à parcourir, et de choses à dire.
"Pali Gap" avait sa place sur "First Rays Of The New Rising Sun", mais on ne refera pas la petite histoire... (Douglas l'avait retenu sur "Voodoo Soup").
Note : le minutage a été effectué avec la version de "South Saturn Delta".

Ecarté de "The Cry Of Love" au dernier moment, c'est presque naturellement que "Room Full Of Mirrors" trouve ici sa place, d'autant que c'était un titre régulièrement joué par Jimi en concert (il en existe 18 versions documentées depuis la jam du Royal Albert Hall jusqu'au dernier concert du trio Hendrix/Cox/Mitchell, la majeure partie lors du Cry Of Love Tour). Enregistré le 17 novembre 1969 au Record Plant par le Band Of Gypsys augmenté d'un percussionniste, il semble toutefois que ce ne soit pas Billy Cox à la basse, mais bien Jimi lui même, tel que c'était d'ailleurs indiqué sur les notes de pochettes de "Voodoo Soup". Le style de la basse enregistrée ici est très différent de celui de Billy Cox, dont le jeu est plus en rondeur, moins agressif.
Un certain nombre de séances à l'Electric Lady Studio seront consacrées à "Room Full Of Mirrors" en juin et juillet 1970 : il semblerait que Jimi n'arrivait pas à obtenir un résultat à la hauteur des espérances qu'il plaçait en ce titre. Le mixage proposé ici ne serait d'ailleurs pas en accord avec ses dernières indications : la partie jouée en slide avec sa bague, en l'absence de bottleneck, serait mixée trop en avant.
C'est un des rares titres où je trouve que la longue maturation du travail effectué en studio n'a pas spécialement porté ses fruits : je préfère la partie chantée de la version de l'Experience au Royal Albert Hall au rock sous acide du Band Of Gypsys. Je ne suis pas vraiment convaincu par l'idée de jouer cette composition à un rythme aussi élevé, qui casse la respiration initiale de la composition.

Enregistrée le 18 mars 1969 au Record Plant, la version studio de "Star Spangled Banner" présentée ici est totalement différente des versions Live, dont la meilleure reste indéniablement celle jouée à Woodstock. Même si ce n'est pas un titre majeur de "Rainbow Bridge", ça reste une version intéressante. Notamment pour ses arrangements, et pour son lyrisme : les contrepoints de Jimi ne sont-ils pas savoureux ?
Intéressante aussi pour la maîtrise du studio dont Hendrix fait preuve : enregistrée entièrement en re-recording, certaines parties furent couchées sur bande en divisant par deux la vitesse de celle-ci, afin d’obtenir ce timbre si particulier (une octave au-dessus) lorsque la bande est joué normalement.  


La face deux s'ouvre avec "Look Over Yonder", un inédit de l'Experience enregistré le 22 octobre 1968 aux TTG Studios. Bien qu'enregistré après la publication d'"Electric Ladyland", ce titre semblait destiné aux oubliettes : on ne le retrouve sur aucune des listes de Jimi. Ni dans ses interviews. Et le titre n'a fait l'objet d'aucune tentative en concert. Pour autant, c'est un titre solide du Jimi Hendrix Experience, très rock. Le style est plus proche des débuts de l'Experience... ce qui n'est pas véritablement surprenant, dans la mesure où ses origines remontent à 1967 (Cf. "Mr Bad Luck" [a.k.a. "Mr. Lost Soul"], un moment officiel sur le coffret "Lifelines").

Le titre suivant est un extrait du premier concert donné à Berkeley le 30 mai 1970 par le trio Hendrix/Cox/Mitchell. Le climat change radicalement, dans la mesure où l'on entend les imperfections du Live, mais le choix se justifie par l'intensité exceptionnelle de cette version de "Hear My Train A Comin'", pour beaucoup d'amateurs du guitariste la meilleure jamais enregistrée professionnellement.
Jimi commence seul. Il y a quelques flottements lors de l'introduction : quand le groupe rentre en jeu, Jimi alterne fulgurances et tentatives de s’accorder. A 0:50, la saturation devient presque palpable tant elle est importante.
Le chant débute à la deuxième minute. Il n'est pas toujours appliqué, mais il est tellement urgent ("Hear freedom coming !") qu'on ne peut y rester insensible.
A 3:25, Hendrix entame un premier solo d'anthologie. Il joue un blues incroyablement dense, connaît même quelques problèmes de justesse mais il est tellement dedans que ceux-ci n'ont pas prise sur lui.
A 4:47, Hendrix dresse une montagne de feedback : l'intensité culmine au maximum.
La tension retombe d'un coup à 5:13. Jimi taquine sa wah wah... et nous pouvons pleinement profiter du jeu de cymbales de Mitch, qui impressionne par la qualité de son drumming.
Le chant reprend à 6:31, court instant de répit avant un solo final pas moins fort que le solo central, mais dans un style plus sauvage encore : déluges de notes, feedback, coups de vibrato, tirés blues... Hendrix surfe librement avec le langage qu'il a créé, tout en interagissant en permanence avec Mitch.
La tension retombe une deuxième fois à 9:54 (second passage à la wah wah). Hendrix reprend brièvement le chant avant de conclure cette version dantesque de "Get My Heart Back Together".
Meilleure version ? Je ne sais pas. Mais elle résume bien l'Art Hendrixien : au-delà des imperfections formelles, la puissance émotionnelle. Immense.

"Hey Baby (New Rising Sun)" a lui aussi été enregistré le premier juillet 1970 à l'Electric Lady Studio. En termes de créativité, c'est sans nul doute une des séances les plus brillantes de la carrière de Jimi.
Régulièrement joué par le trio Hendrix/Cox/Mitchell en concert (il en existe 12 versions Live), c'était l'un des titres les plus prometteurs du nouvel album de Jimi. Le groupe est ici augmenté de Juma Sultan aux percussions. La version reste malheureusement inachevée : c'est ce qui explique la décision d'Eddie Kramer et de John Jansen de laisser le passage où Jimi demande si "le microphone est branché ?"
Pour autant, bien que ce ne soit qu'une simple démo du groupe en studio, "Hey Baby (New Rising Sun)" est un titre phare du répertoire Hendrixien. Outre un superbe solo de guitare qui suit l'introduction du titre, l'interprétation ne souffre ici d'aucun souci majeur : combien d'auditeurs ne se sont jamais rendus compte du caractère inachevé du titre ? Il faut dire que le chant de Jimi sert parfaitement cette composition, dont on peut mesurer l'évolution considérable depuis le "Gypsy Boy" enregistré l'année précédente : la maturation du titre est cette fois-ci irréprochable.


Pour ceux qui voudraient se graver l'album à partir des CD proposés par Experience Hendrix LLC :
- "Dolly Dagger", "Earth Blues", "Room Full Of Mirrors" et "Hey Baby (New Rising Sun)" figurent désormais sur "First Rays Of The New Rising Sun" (1997) ;
- "Pali Gap" et "Look Over Yonder" sur "South Saturn Delta" (1997) ;
- "Hear My Train A Comin'" sur "Jimi Hendrix :Blues"  (1994) ;
- et "Star Spangled Banner" sur "The Jimi Hendrix Experience Box Set" publié en 2000.

Le résultat ne sera toutefois peut-être pas à la hauteur des espérances suscitées par cette chronique : le mastering de George Marino, approuvé par Eddie Kramer, est loin de faire l'unanimité.